Ces principes fondamentaux propres au domaine public sont les principes d'inaliénabilité et d'imprescriptibilité. Par définition, ces principes ne s'appliquent pas au domaine privé. Ces principes expliquent en grande partie toutes les règles spécifiques que nous allons rencontrer dans cette partie du cours.

Le principe d'inaliénabilité du domaine public interdit toutes les alinéations du domaine public.

Ce principe ne doit pas être confondu avec l'imprescriptibilité du domaine public, qui fait que quelle que soit la détention d'un bien du domaine public par une personne, cette personne, si elle n'est pas le détenteur public, n'en sera jamais le propriétaire. Même si une personne privée détient pendant 2 siècles un bien du domaine public, lorsque son propriétaire public s'en rendra compte, elle devra lui restituer !

Section 1 : Le principe d'inaliénabilité du domaine public

Cette règle est générale : aucune aliénation n'échappe au champ d'application de ce principe.

L’impossibilité d’exproprier le domaine public

Les aliénations volontaires (ventes, échanges, donations…) sont interdites ; mais les expropriations (= aliénations forcées) sont également interdites.

Le Conseil d'État a donc créé en 1909, de façon totalement prétorienne, le régime dit des mutations domaniales.

Conseil d’État, 1909, Ville de Paris et Compagnie des chemins de fer d'Orléans : Une concession est passée entre la ville et la compagnie pour construire un chemin de fer ; mais, pour réaliser les installations ferroviaires, la compagnie avait besoin d'utiliser un espace public qui servait de route à la ville. Cette dernière refuse de désaffecter et de déclasser ces rues qui faisaient partie du domaine routier et qui étaient donc inaliénables.

Le Conseil d’État crée la théorie de la mutation domaniale. Idée : certes, le domaine public est partagé entre plusieurs propriétaires, mais le domaine public reste une affaire d'État parce qu'il est le lieu de circulation du public et le lieu d'exercice de la liberté fondamentale d'aller et venir. Le Conseil d’État reconnaît donc à l'État le pouvoir de décider unilatéralement du changement d'affectation des biens des collectivités territoriales.

Ici, le Conseil d’État reconnaît que le domaine public est inaliénable, mais il autorise l'État à modifier unilatéralement l'affectation des biens du domaine public des collectivités territoriales. Selon cette théorie des mutations domaniales, l'État ne peut donc pas mettre la main sur les éléments du domaine public des collectivités territoriales, mais il peut décider unilatéralement à quoi ils servent.

Ici, l’État ne fait que modifier l'affectation du domaine public des collectivités territoriales : il ne prive pas les collectivités territoriales de leurs biens. La ville de Paris est restée propriétaire du foncier : il n’y a pas d'expropriation. → En vertu de l'article 17 de la DDHC, il n’y a pas d'indemnisation.

Une partie de la doctrine retient qu’avec cette solution "l'État a le beurre et l'argent du beurre" et qu’il aurait mieux fallu que la Ville de Paris coopère, puisqu’elle aurait été indemnisée.

Dans les années 1980, les choses changent, parce que le Conseil constitutionnel reconnaît la libre administration des collectivités territoriales. Il reconnaît que le droit de propriété reconnu par l’article 17 de la DDHC porte aussi sur la propriété publique ; puis il retient que le pouvoir d'affectation est une manifestation publique de l'usufruit. Donc priver une personne publique de son pouvoir d’affectation, c’est la priver de son usufruit public et donc violer son droit de propriété → contraire à l'article 17.

En 2002, le législateur fait évoluer le droit avec la loi Démocratie de proximité, qui impose à l'État d'indemniser les collectivités territoriales qui se voient privées du pouvoir d'affectation de leur bien.

En 2003, le Conseil d’État est saisi d'une affaire dans laquelle il affirme que l’État a le choix entre appliquer la loi de 2002 qui lui impose d'indemniser ou appliquer la loi de 1909 qui lui permettait de ne pas indemniser. Mais avec l’arrivée du CGPPP, le Conseil d’État est revenu à plus de raison et a introduit une obligation d'indemnisation.

La police des biens insalubres s’applique au domaine public

L'inaliénabilité du domaine public n'interdit que les alinéations ; il ne faut pas aller au-delà. Conseil d’État, 1er mars 2023, Commune de Pergnier contre SNCF : Reconnaît la possibilité pour le maire d'exercer sa police des immeubles menaçant ruine sur un bien faisant partie du domaine public d'une autre personne publique (ici, bien du domaine public ferroviaire de l'État).

En l’espèce, le bien en cause était une passerelle appartenant à la SNCF qui était dans un très mauvais état, au point d'être dangereuse. Si l'ouvrage est vraiment irrévocablement dans un mauvais état, le maire peut en ordonner la démolition. Cette destruction n'est pas une alinéation, puisque le bien ne change pas de patrimoine. C'est pour ça que le Conseil d’État accepte que la police des biens insalubres s'applique à des biens du domaine public.

Le point de départ du principe d’aliénation